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"La force de l'espérance : Neuf mois pour renaître"

Un an après l’annonce de son GIST diagnostiqué en 2000, Anne Jutant s’est astreinte à une prise de notes quasi quotidienne pour relater son vécu et faire partager son expérience de la maladie, son chemin vers la résilience. Ces notes, qui retracent avec émotion, sincérité et pudeur son parcours de femme confronté au Cancer, ont aujourd’hui pris la forme d’un livre publié aux éditions L’Harmattan.


Pourquoi j’ai écrit ce livre ?

C’est à la fin de l’année 2000 que mon GIST gastrique s’est manifesté par une hémorragie digestive. Dans les 3 mois qui ont suivi la gastrectomie totale, des métastases hépatiques sont apparues.

A l'époque, le Glivec® n’était pas disponible encore en France, j’ai donc eu droit à un programme de chimiothérapie de choc aussi destructeur qu’inefficace.

Ce n'est qu'en juin 2001 que j'ai finalement été incluse dans un protocole d'étude thérapeutique proposant du Glivec®.

Cette période a été une véritable descente aux enfers jusqu’à ce que le Glivec agisse radicalement sur les tumeurs.

Ayant conscience que je traversais une période « exceptionnelle » de ma vie, j’ai commencé à prendre des notes pour extérioriser les expériences douloureuses et mettre des mots sur mes états émotionnels perturbés.
Ecrire pour tenter de comprendre pourquoi cette maladie arrivait à ce moment là dans ma vie et comment je pouvais la relier à la totalité de mon existence.

L’écriture m’a aidée à retrouver le fil et à replacer ma maladie au centre de mon histoire.

J’ai aussi cherché tous azimuts d’autres approches, d’autres médecines pour multiplier mes chances de guérison.

Ce livre c’est donc le récit de mon histoire de maladie que je qualifie de parcours initiatique. C’est aussi ma réflexion sur les liens entre le corps et l’esprit, sur les approches complémentaires à la médecine classique et sur ce travail intérieur que la maladie nous contraint de faire… si on le veut bien.

Depuis la fin du livre la situation a quelque peu changé pour moi puisque en 2006 j’ai eu une récidive dûe à une résistance au Glivec et nécessitant le passage au Sutent®.

Maintenant c’est une autre histoire, le sujet d’un second livre peut être ?


Extraits du livre :

P. 37

L’anesthésie me fit sombrer dans l’inconscience, et je m’endormis dans la technicité glaciale du bloc opératoire.
Quelques heures plus tard, j’émerge de la torpeur, la longueur du temps passé au bloc me surprend. Partie de ma chambre à huit heures du matin, l’infirmière en me remontant m’annonce que la nuit est tombée ! Ma pauvre tête anesthésiée s’étonne de l’information.
Enveloppée d’un pansement compressif qui m’empêche de respirer je reste immobile, mes doigts sont gonflés, des sondes sortent de mon nez. Mon cerveau est dans le brouillard.
On me passe le téléphone, j’entends la voix de mon chirurgien et ami qui m’appelle de Paris :
- Je t’ai enlevé l’estomac, la rate et la queue du pancréas, je t’embrasse.
En d’autres termes j’ai bénéficié d’une chirurgie large et optimale. Le coup est rude. J’en suis toute estomaquée !
Les jours suivant l’opération sont extrêmement pénibles. Je doute de ma capacité à surmonter une épreuve pareille. Dans ce corps éviscéré, douloureux, mon esprit s’égare, j’ai envie de me laisser glisser, de fermer les yeux, de quitter mon corps. Je suis dépourvue de toute combativité. N’ayant plus conscience du temps, je vis au rythme de l’hôpital. Je gis sur mon lit, exsangue, ma faiblesse est extrême, je suis tombée bas, très bas. Sentir chaque jour cet état d’épuisement, tenir, tenir encore pour trouver quelque part une infime parcelle d'énergie.

P. 83-84

Le cataclysme du cancer m’a projetée brusquement dans une situation extrême me retrouvant subitement dans un temps hors du temps, fracturée dans le continuum de la vie, suspendue au-dessus d’un gouffre. Les mouvements intérieurs figés dans les tissus de mon corps me contraignent à un exil qui me sort du monde et m’enfonce dans moi-même. Terrassée, laminée, pelée comme un oignon de mes enveloppes, j’accède finalement au coeur d’un moi sans défenses et misérable devant la vie à reconquérir.
Les relations au monde, aux autres, à Dieu, à moi-même sont bouleversées. Le cancer ronge aussi la cellule familiale, mes proches vivent au rythme du séisme, partagés entre le besoin de me secourir et celui de protéger leur propre équilibre intérieur. Chacun fait comme il peut dans ce chaos. D’abord survivre puis après se reconstruire.

Dans les remous de cette crise intérieure s’opère une mutation, une réorganisation des priorités et des investissements. En même temps et parce qu’il y a urgence à vivre, la maladie contraint à un travail psychique.

La maladie est à la fois privation et remaniement disait G. Canguilhem.
Elle ouvre un espace pour recevoir, un temps pour régresser. Elle est une occasion de prendre soin de soi, de changer son regard sur la vie. Libre à chacun d’y voir la fatalité ou une opportunité de changement. En ce qui me concerne, elle est indubitablement une crise salutaire de mon incarnation.

La maladie est un chemin plein de détours et d’errements. Elle est un message fort pour nous signifier qu’elle n’a pas « seulement une cause, mais aussi une finalité. »

Les patients, mais aussi les médecins doivent tenir compte de cette réalité paradoxale : la maladie contient les germes de la guérison, « guérir est une démarche qui engage tout l’être, mais la maladie elle-même est déjà un processus de guérison. »
A travers cette quête du sens la maladie nous relie à notre dimension spirituelle.

Après un cancer on ne vit plus comme avant. Les souvenirs s’estompent, les tumeurs disparaissent, les cicatrices, les mutilations restent comme des stigmates.

La guérison du corps ne peut pas avoir lieu sans guérison intérieure. C’est une expérience profonde de changement et de transformation pour accepter l’inconnu, l’imprévu, se réveiller avec plus de conscience, plus de sensibilité et plus d’amour. Mais c’est plus encore l’expérience de la confrontation à notre finitude qui efface à jamais l’insouciante légèreté de vivre.

Guérir c’est comprendre l’inexplicable positivité de la vie.