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ASCO 2013 : Extrait de "Sarcomes des tissus mous & GIST" - Dr Axel Le Cesne, Institut Gustave Roussy (Villejuif).

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Les sarcomes/GIST ont fait l’objet de 5 séances entières et de sessions parallèles. Ces dernières sont toujours aussi riches en innovations et concepts thérapeutiques avec des résultats qui peuvent changer nos pratiques quotidiennes, aussi bien dans les GIST que dans les sarcomes.

Tumeurs stromales gastro-intestinales (GIST) 

Treize ans après le traitement du premier patient par imatinib (Glivec®), l’engouement autour des GIST et du concept des thérapeutiques ciblées dans cette pathologie est toujours aussi exceptionnel. Les enseignements de cet ASCO 2013 sur les GIST peuvent se résumer de la façon suivante :

1. En situation adjuvante :

Pas de réactualisation cette année de l’étude germano-scandinave (SSG-AIO) présentée il y a deux ans en séance plénière (ASCO 2011, Joensuu et al, abstract n° 1), puis à l’ESMO 2011. Cette étude comparait une année à trois ans d’imatinib dans les GIST à haut risque de rechute. La survie sans récidive et la survie globale étaient significativement augmentées dans le groupe de patients ayant reçu 3 années de traitement. Cette étude est venue modifier un standard thérapeutique, les GIST à risque significatif de rechute (risque intermédiaire et haut risque de récidive selon la classification de l’AFIP 2006) devant recevoir dorénavant un traitement adjuvant par imatinib, 400 mg/j, pendant une durée minimale de 3 ans. Une extension de l’Autorisation de Mise sur le Marché de l’imatinib (glivec®) a été obtenue aux Etats-Unis et en Europe en début d’année 2012.

Rappelons que les courbes de survie sans récidive sans parallèles dans les 2 bras thérapeutiques (SSG-AIO), uniquement déplacées dans le temps d’un intervalle lié à la durée de la prise de l’imatinib plus 6 mois environ (le temps de développer une progression RECIST sur une imagerie conventionnelle). Ces constatations sous-entendent que l’imatinib ne permet que de retarder la rechute mais ne l’empêche pas.

Très attendue, la troisième et dernière grande étude randomisée sur l’intérêt de l’imatinib en situation adjuvante a été rapportée cette année (Casali et al, abstract 10500). Comparant deux années d’imatinib à une simple surveillance après l’exérèse R0/R1 d’un GIST localisé à haut risque et à risque intermédiaire de rechute (classification NHI de 2002), cette étude coordonnée par l’EORTC est la plus importante en nombre de patients (N=908) et celle dont l’objectif principal était le plus retardé dans le temps par rapport aux autres : le temps jusqu’à l’obtention d’une progression tumorale sous 400 mg d’imatinib (imatinib-free failure survival, IFS). Rappelons que le critère principal initial (survie globale) avait été modifié en cours d’étude pour de multiples raisons : peu d’évènements tumoraux (bonne nouvelle pour les patients), sensibilité des traitements à la rechute, résultats non connus avant 2025, pression des patients inclus dans cette étude, publication des deux autres études sur le sujet… En clair, quelle est, à partir de la date de la randomisation, la durée de la période jusqu’à la survenue d’une résistance à l’imatinib dans les 2 bras thérapeutiques, la reprise de l’imatinib étant prévue par le protocole à la rechute des patients ? Les résultats peuvent se résumer et  être analysés de la façon suivante :

- l’imatinib administré pendant deux années diminue significativement le risque de rechute de façon analogue aux deux études précédentes, la survie sans progression (SSP) à trois ans étant à 84.2% dans le bras imatinib vs 65.8% dans le bras surveillance (p<0.0001, HR à 0.58). A 5 ans, les courbes se rapprochent, l’imatinib ne faisant que décaler la rechute dans le temps, sans la prévenir réellement, comme dans les deux études adjuvantes précédentes.

- Malgré la présence de 528 GIST à haut risque de rechute selon la classification initiale de Fletcher (2002), les rechutes sont nettement moins fréquentes que dans les 2 études précédentes avec même un plateau à plus de 62% de SSP à 5 ans dans le bras surveillance. La reclassification de ces GIST selon la classification de Miettinen (2006) ne retrouve plus que 391 GIST à haut risque de rechute, et les courbes deviennent alors plus conformes à ce que nous connaissons dans ce sous-groupe de patients (plateau à 45% environ à 5 ans). 

- Les GIST à risque intermédiaire de rechute (selon Fletcher ou Miettinen) ne rechutent pas, peu ou plus ! Les courbes sur la SSP (imatinib vs surveillance) dans ce groupe de patient n’ayant même été montrées. En dehors de la rupture tumorale (voire ci-dessous), des réflexions doivent être approfondies dans ce groupe de patients dont les taux de rechutes deviennent moins fréquentes que ceux estimés il y a quelques années. C’est peut être dans ce groupe de patients que la classification de Joensuu est la plus pertinente : avec des variables continues sur la taille et le nombre de mitoses, le risque de rechute des GIST à risque intermédiaire selon Miettinen est sensiblement diminué avec celle de Joensuu. Par ailleurs, il est aussi indéniable que des progrès considérables ont été effectués dans la prise en charge chirurgicale initiale des patients atteints d’un GIST localisé par rapport à l’étude pionnière (ACOSOG). Le diagnostic de GIST est de plus en plus porté en préopératoire (Eaddy et al, abstract n°10590), plus de 83% des patients ont bénéficié d’une exérèse R0 dans l’étude européenne. Rappelons en outre, qu’il existait un taux de concordance de 77% entre la description de l’acte opératoire et le remplissage des formulaires de données cliniques de cette étude dans une communication rapportée de l’année dernière (ASCO 2012, Hohenberger et al, abstract 10096).

- La rupture tumorale (162 patients, 17.8% des patients) avant ou pendant l’intervention chirurgicale conditionnent l’avenir de ces patients. Deux ans après l’exérèse d’un GIST perforé à haut risque de rechute, 20% seulement d’entre eux sont non évolutifs, 65% dans le groupe à risque intermédiaire de rechute. Lorsque l’on regarde attentivement la courbe de récidive des GIST à risque intermédiaire de rechute dans cette étude, la rupture tumorale apparait comme un facteur pronostique très défavorable. Ces patients doivent donc être considérés comme des patients virtuellement métastatiques et l’imatinib administré comme en situation tumorale avancée (Guidelines ESMO 2012). Le devenir de ces patients sous imatinib est significativement meilleur que ceux traités par chirurgie exclusive (p<0.0001)

- A ce jour, il n’existe aucune différence de survie entre les deux bras, survie aux alentours de 95% à 5 ans pour tous les patients inclus dans l’étude, 90% toujours à 5 ans pour les 391 patients à haut risque de rechute selon Miettinen. A noter qu’il n’y a à ce jour « que » 62 décès sur les 908 patients. Pour information, il en fallait 147 sur les 400 premiers patients pour l’analyse finale de l’étude si l’objectif  principal de la survie avait été maintenu ! Deux années d’imatinib ne suffisent donc pas pour modifier la survie globale des patients, à la différence des trois années de l’étude germano-scandinave (SSG-AIO) qui demeure donc le standard thérapeutique dans les GIST à risque significatif de rechute à ce jour.

- Plus de 75% des patients ont reçu les deux années de traitement, 11% l’ont arrêté dans les 6 premiers mois pour des questions de tolérance ou refus de le poursuivre. A noter que 11 patients ont continué l’imatinib après les 24 mois prévus par le protocole.

- Le temps jusqu’au développement d’une résistance secondaire sous imatinib était donc l’objectif principal de cette étude : il n’existe pas de différence significative entre les deux bras de traitements. Une supériorité non significative (p=0.14) est observée en faveur du traitement adjuvant dans les GIST à haut risque de rechute (classification Miettinen). Comment interpréter ces résultats : 1) l’administration de l’imatinib en situation adjuvante ne sélectionne pas plus rapidement des cellules résistantes ; 2) cet indicateur (IFS) pourrait être un indicateur précoce de la survie globale, l’avenir le confirmera ou pas ; 3) les patients inclus dans cette étude dans le bras surveillance n’ont pas été pénalisés puisqu’à ce jour leur devenir sous traitement (période jusqu’à échappement thérapeutique) demeure le même.

- Que dire à une communauté scientifique/pays/autorités de santé qui stipulerait, à la vue de cette étude, qu’il faille attendre la rechute métastatique, même dans le groupe de patients à haut risque de rechute, avant de débuter un traitement par imatinib ? Plusieurs points : 1) un patient préférera toujours être dans une situation préventive ou adjuvante, potentiellement curatrice en recevant de l’imatinib en post-opératoire que dans une situation de rechute tumorale, métastatique, « palliative » en recevant de l’imatinib à partir du moment où des nodules sont visibles à l’imagerie ; 2) le volume tumoral à la rechute dans le bras surveillance n’est possiblement pas le même que ceux qui rechutent malgré deux années de traitement, raison pour laquelle il existe une petite différence entre les 2 courbes, quoique non significative. Il s’agit là d’un point qui mériterait d’être étudié car cette petite différence entre les deux courbes pourraient se traduire par un gain sur la survie dans les années à venir (voire aussi sur le sujet Palesandro et al, abstract 10552) ; 3) ces résultats ne concernent que cette étude où l’imatinib a été administrée sur 2 ans. Rappelons que l’étude SSG-AIO a démontré un impact significatif sur la survie lorsque l’imatinib est administré sur trois ans sur un groupe de patients similaires à ceux de l’étude européenne ayant un GIST à haut risque de rechute ; 4) même si l’imatinib se comporte plus comme un cytostatique qu’un agent cytotoxique, son administration prolongée dans le temps en situation adjuvante permet de retarder la rechute tumorale. Les résultats de l’étude Persist (5 années d’imatinib dans les GIST à haut risque) sont vivement attendus (l’année prochaine ?). N’assisterions-nous pas à la même histoire qu’avec l’hormonothérapie dans le cancer du sein où 10 années de tamoxifène en situation adjuvante réduirait le risque de rechute par rapport aux 5 années, jusque là un standard thérapeutique ?

- Une meilleure caractérisation phénotypique/génotypique des patients nous aidera certainement dans le futur à mieux définir les sous-groupes de patients devant bénéficier d’un traitement adjuvant, et ce certainement pour une durée possiblement supérieure à 3 ans, car si un patient doit rechuter, il rechutera, quelque soit à priori la durée de l’imatinib (en tout cas pour une durée minimale de trois ans. Une méta-analyse de ces trois études adjuvantes (ACOSOG/SSG-AIO/EORTC) devra être effectuée pour identifier surtout les patients ne devant pas bénéficier d’un traitement adjuvant possiblement inutile : les GIST ayant une mutation 842V de PDGFR en font partie (ces derniers semble par ailleurs avoir d’autres mutations associées, FGFR4 et DDR2, Pantaleo et al, abstract 10540). Dans la mesure où environ 20% des GIST de l’estomac présentent cette mutation ponctuelle totalement dépourvue de la moindre sensibilité in vitro et in vivo, la recherche du statut mutationnel est devenue obligatoire dans les recommandations européennes publiées récemment (ESMO 2012). Les patients qui bénéficient le plus d’un traitement adjuvant par imatinib sont les patients porteurs d’une altération génétique de l’exon 11 de KIT (deux tiers des patients). Compte-tenu de la sensibilité différente des altérations génétiques des exons 11 de KIT vis-à-vis de l’imatinib (voire chapitre suivant) en situation tumorale avancée, des durées différentes de traitement en situation adjuvante pourraient même être discutées dans un avenir proche.

2. En situation de rechute ou avancée : première ligne de traitement

L’étude BFR14 close aux inclusions depuis Mai 2009 (434 patients inclus) apporte comme chaque année depuis 10 ans maintenant de nouvelles pierres à l’édifice bâti en 2002. Quoi de neuf cette année dans cette étude académique?

1) Une des deux communications cette année s’est intéressée à l’évaluation des facteurs pronostiques cliniques mais, pour la première fois, couplés au statut mutationnel des GIST (Domont et al, abstract n°10548). Une analyse mutationnelle a été effectuée sur 322 patients (74%) : les mutations de l’exon 11 représentent 75% des patients pour lesquels une analyse a pu être effectuée, les exons 9, 9.6%, les WT 11.4% et les mutations de PDGFRa représentent seulement 2.6% de l’ensemble des GIST documentés. Seuls les 3 groupes de patients les plus fréquents ont été analysés sur le plan pronostique (exon 11 et 9 de KIT et WT). Les patients ayant une mutation de l’exon 11 de KIT ont une PFS médiane de presque 40 mois (nouvelle base pour l’élaboration de futures études sur ce groupe de patients) contre 12.6 et 12.3 mois pour les patients ayant respectivement une mutation de l’exon 9 et ceux sans mutations (WT). Outre le statut mutationnel (exon 11 vs non exon 11) et le volume tumoral influençant la PFS, le sexe (PFS nettement plus favorable pour les femmes), et l’expression de CD34 sur les cellules tumorales ressortent également comme variable significative. Quant à la survie médiane, si elle n’est toujours pas atteinte dans le groupe des exons 11 (75% de patients en vie à 5 ans !), elle est de 55 mois pour les exons 9 et les WT. Outre le statut tumoral (exon 11 vs non exon 11), les femmes (survie de 82% à 5 ans vs 64% pour les hommes), l'état général initial (seulement 32% de survie à 5 ans en cas de PS2), et les taux de lymphocytes et polynucléaires neutrophiles initiaux conditionnent également significativement la survie globale. Ainsi le statut mutationnel n’est pas forcément le facteur pronostique le plus important dans les GIST et à coté de ce dernier, de nombreux autres paramètres cliniques et biologiques doivent être également pris en considération. Validation en tout cas du caractère indolent des GIST localisés opérés ayant une mutation D842V de PDGFRa, ces patients ne développant pas de rechute tardive (seulement 6 patients, aucun patients ayant une mutation de l’exon 12 ou 14 de PDGFRa). La survie significativement prolongée chez les femmes par rapport aux hommes pourrait être expliquée par une concentration plasmatique de l’imatinib en médiane 33% plus élevée chez les femmes (Espat et al, abstract n°10538). Quant à la probabilité d’obtenir une rémission complète sous imatinib (25% des patients sur une série du MD Anderson), elle est liée au faible volume tumoral à la rechute, au nombre des métastases, faible index mitotique de la tumeur primitive et rechute intra-abdominale exclusive (Conley et al, abstract n°10545).

2) Si l’on ne s’intéresse maintenant qu’aux patients ayant une mutation de l’exon 11 de KIT (173/196 patients ayant une mutation de KIT dans le BFR14), une analyse a été faite sur le devenir des patients en fonction du site de la premier codon altéré au sein de l’exon 11 de KIT (Emile et al, abstract n°10542) : 41 patients ont une première altération avant le codon 557, 74 altérations à partir de 557 ou 558 (dont la fameuse délétion 557-558, n=37) et 52 à partir de 559. Les trois groupes de patients sont similaires sur le plan clinique. De façon très intéressante, le groupe de patients ayant une mutation débutant au codon 557 ou 558 est le plus sensible à l’imatinib avec 43% de réponse complète (p=0.028) mais celui qui va le plus rapidement développer des résistances secondaires avec une PFS médiane de 30.6 mois (40 mois pour l’ensemble des exons 11), contre plus de 63 mois pour les patients qui ont les mutations les plus distales au sein de l’exon 11 (>559). Pas de différence sur la survie globale. Ces constatations qui doivent être validées sur un nombre plus important de patients où dans d’autres études pourraient également être évaluées en situation adjuvante. Rappelons que la délétion 557-558, l’une des altérations génétiques les plus fréquentes au sein de l’exon 11 de KIT semble être l’une des plus péjoratives dans les GIST localisés opérés. Vers un traitement à vie en adjuvant dans ce groupe de patients (grande sensibilité de l’imatinib, prévention des résistances secondaires sur une maladie résiduelle minimale) ?

3. Y a-t-il de la place pour tester en première ligne de traitement en situation de rechute tumorale des inhibiteurs de tyrosines kinases autres que l’imatinib? Outre l’étude randomisée actuellement ouverte aux inclusions en première ligne de traitement comparant le masitinib (AB1010, ABscience) et l’imatinib (155/222 patients inclus), l’étude ENESTg1 a été rapportée cette année. Elle comparait l’imatinib au nilotinib (anti Bcr-Abl, KIT et PDFGRa, Novartis). Cette étude a été interrompue prématurément (644 patients inclus au lieu des 736 prévus par le protocole, randomisation 1:1) en avril 2011 pour futilité. Les résultats définitifs n’avaient jamais été rapportés (Blay et al, abstract n°10501). Pour être synthétique :

- La Survie Sans Progression (SSP) à 2 ans est significativement supérieure dans le bras imatinib par rapport au nilotinib (59.2% vs 51.6%), les deux courbes se séparant dès le 3ème mois du début du traitement.

- Cette différence s’explique par une différence hautement significative en faveur de l’imatinib dans le groupe de patients ayant un exon 9 de KIT (12% des mutations analysées, 50 patients au total) : SSP médiane de 3 mois avec le nilotinib, non atteinte avec l’imatinib (67% des patients sont non progressifs sous imatinib à 24 mois, le hazard ratio aux alentours de 40 !). Si comme on le pense très peu de patients ont reçu initialement des fortes doses d’imatinib (ce qui est le standard si la connaissance du statut mutationnel est connu avant de débuter un traitement par imatinib), il s’agit de la SSP la plus longue jamais observée avec l’imatinib dans ce groupe de patients dont l’évolution est généralement défavorable (PFS médiane de 12 mois dans l’étude BFR14, voire précédemment). Il serait utile que cette cohorte de patients soit analysée avec les autres facteurs pronostiques connus dans cette pathologie (volume tumoral, sexe, lymphocytes, polynucléaires neutrophiles…).

- Les SSP des patients ayant une mutation de l’exon 11 de KIT sont similaires.

- Après l’analyse intermédiaire, les patients inclus dans le bras nilotinib étaient invités à switcher rapidement vers un traitement par imatinib avant même toute progression selon RECIST.  Malgré la mise en route de l’imatinib en cas de progression ou avant toute progression tumorale sous nilotinib, il existe une différence significative sur la survie globale en faveur des patients ayant reçu de l’imatinib en 1ère ligne de traitement (90% de survie à 2 ans avec l’imatinib, 81.8% avec le nilotinib). Cette différence s’observe aussi bien dans les exons 9 de KIT que dans les exons 11. Ces résultats sous entendent que l’imatinib ne rattrape pas forcément tous les patients qui sont traités par des anti-tyrosines kinases autres que l’imatinib en première ligne de traitement.

- La tolérance du nilotinib est comparable à celle de l’imatinib. En cas d’intolérance de l’imatinib, le nilotinib peut donc servir d’alternative pour les patients présentant une mutation de l’exon 11 de KIT

4. GIST et mutations : on ne peut plus se passer du statut mutationnel du GIST, lorsque l’on prendra en charge un patient, en situation de rechute mais surtout en situation adjuvante (recommandations ESMO 2012) tant : 1) le bénéfice de l’imatinib sur la survie sans progression varie en fonction du statut mutationnel, 2) la fréquence des mutations insensibles est élevée dans les GIST localisés (mutation D842V de PDGFRa présente dans environ 20% des GIST gastriques opérés et 3) la durée optimale de l’administration de l’imatinib risque de s’allonger dans le temps dans les GIST à haut risque de rechute.

Des communications très intéressantes cette année ont porté sur la détection dans le plasma de cellules tumorales circulantes contenant le statut mutationnel du GIST en situation notamment de résistance à l’imatinib (l’équivalent de biopsies « liquides » et non endo-tumorales dont l’accessibilité dans les GIST avancés est délicate) :

- Via la technologie de type BEAMing (emulsion, amplification...), 96/199 patients inclus dans le protocole GRID testant le regorafenib en 3ème ligne de traitement (voire plus loin) ont bénéficié de cette approche (Demetri et al, abstract n°10503) : 84% de concordance entre le tissu tumoral et le DNA circulant concernant la mutation primitive du GIST, plus de facilité (en rapidité et en performance) pour détecter les mutations secondaires dans le plasma que dans la tumeur, meilleure estimation des caractéristiques de ces mutations en situation avancée (75% de nouvelles mutations dans la zone catalytique du récepteur, exon 17 et 18). Cette étude pionnière a permis en outre de démontrer, toujours dans l’étude GRID, que le devenir des patients sans mutations secondaires allaient mieux que ceux ayant acquis ces fameuses mutations (exon 13-14/17-18) et que le bénéfice du régorafenib était identique dans ces deux sous-groupes de patients

- La quantité d’ADN circulante semble proportionnelle au statut tumoral de la maladie, pratiquement indétectable en situation de réponse complète, en grande quantité en cas de rechute ou de progression sous traitement (Von Bubnoff et al, abstract 10508). La nature de la mutation (primitive ou secondaire) a pu être détectée chez 15 patients sur les 38 patients prélevés au cours du temps (291 prélèvements). Vers une analyse systématique du DNA circulant en situation adjuvante pour sélectionner les patients devant relever d’un traitement adjuvant ?

- Via une technique permettant d’analyser de très nombreuses mutations impliquées dans les tumeurs au sens large du terme (Ion Ampliseq Cancer Panel), il a été retrouvé sur 125 patients présentant un GIST outre les mutations KIT et PDGFRa connues dans cette pathologie, 12% de mutation du gène MLH1 et 16.8% du gène MET (Xu et al, abstract n°10544). Vers d’autres thérapeutiques ciblées dans les GIST ? A suivre attentivement.

- Les GIST évoluant dans un contexte NF1 sont rares (6% en cas de NF1 déclaré et GIST recherché et 1.7% de l’ensemble des GIST dit « sporadiques » (Nishida et al, abstract n°10539) sont tous wild-type (WT), ayant un faible index mitotique, survenant chez des patients plus jeunes de dix ans par rapport aux GIST non NF1, très souvent multifocaux et très peu sensibles à l’imatinib et au sunitinib (aucune réponse dans cette série)

5. Dans la guerre des inhibiteurs de tyrosine kinases possiblement efficaces au-delà de la première ligne thérapeutique, outre le sunitinib qui a obtenu une AMM en 2006 dans les GIST réfractaires/résistants/intolérants à l’imatinib, le regorafenib vient également d’obtenir son AMM en 3ème ligne de traitement et va être commercialisé d’ici peu en France. Quoi de neuf cette année dans les « ibs » ?

  • Le regorafenib (Bayer 73-4506), pan-tyrosine kinase inhibant KIT, PDGFR, FGFR, VEGFR1, 2, 3 et B-RAF vient donc venir renforcer l’arsenal thérapeutique dans les GIST avancés. La phase II initiale (160 mg/j 3 sem/4, 34 patients) a été réactualisée cette année (George et al, abstract n°10511) : la SSP médiane de 10 mois était l’une des plus élevées jamais obtenue dans des GIST résistants à l’imatinib et au sunitinib. L’activité du régorafenib semble particulièrement élevée dans les GIST résistants ayant acquis une nouvelle mutation au niveau de l’exon 17 de KIT (zone catalytique, plutôt insensible au sunitinib) et par une activité également non négligeable dans les GIST WT SDH déficients (3 réponses sur 6 patients). Ces constatations cliniques sur le regorafenib sont, comme souvent dans le modèle des GIST, corroborées par les études in vitro (Serrano-Garcia et al, abstract 10510), le sunitinib restant l’agent le plus sensible sur les nouvelles mutations au sein de l’exon 13 de KIT (poche ATP). Quant à l’étude randomisée de phase III (GRID) rapportée l’année dernière qui a permis l’enregistrement du regorafenib dans les GIST avancés, plusieurs analyses exploratoires ont été effectuées : 1) le bénéfice du régorafenib s’observe dans tous les sous-groupes de patients testés : âge (plus ou moins 65 ans), sexe, durée de l’administration antérieure de l’imatinib et du sunitinib (Joensuu et al, abstract 10551)
  • L’imatinib : très attendue, la communication orale (Kang et al, Late breaking abstract 10502) de l’étude académique randomisée sud-coréenne qui comparait en 3ème ligne et plus (40% des patients en 4ème ligne de traitement) la réintroduction de l’imatinib vs surveillance (avec crossing over à la progression) chez 80 patients porteurs de GIST avancés ayant progressé au minimum sous imatinib et sunitinib et qui devait avoir reçu au moins 6 mois d’imatinib. Une nouvelle fois dans les GIST avancés, les résultats se passent de commentaires : la PFS est significativement supérieure (doublée) dans le bras imatinib (p=0.00075) même si la médiane de SSP reste faible (1.8 mois vs 0.9 mois), 31% des patients obtiennent un nouveau contrôle tumoral pendant un minimum de trois mois, la PFS médiane des patients ayant progressé (bras contrôle) et mis sous imatinib est similaire (1.7 mois) à celle du bras expérimental. A noter que la concentration médiane d’imatinib dans le sang des patients prélevés sous imatinib en 3 ou 4ème ligne de traitement est de 1840 ng/ml (670-5820), soit un taux aussi élevé qu’en première ligne de traitement. Cette étude vient confirmer ce que nous savions déjà : 1) il est utile de reprendre l’imatinib même chez des patients ayant progressé sous imatinib des années auparavant ; 2) la réintroduction d’un inhibiteur de KIT en énième ligne ralentit toujours la progression tumorale, certains patients ayant d’ailleurs poursuivi leur traitement au-delà de la progression RECIST ; 3) l’arrêt de tout traitement entraîne une progression excessivement rapide délétère pour les patients (SSP médiane de 3 semaines dans le bras surveillance !) ; 4) ces résultats valident les recommandations de l’ESMO 2012 qui soulignait l’intérêt de reprendre l’imatinib après échappement aux traitements antérieurs.
  • Le sunitinib (sutent®, Pfizer) : une gastrectomie totale isolée ou une intervention sur l’intestin grêle isolée ne modifient pas la pharmacocinétique du sunitinib ou de son métabolite actif, le SU12662 (de Wit et al, abstract n°10547). C’est la combinaison des deux qui diminuent significativement leur concentration plasmatique (de 21 et 28% respectivement). L’administration du sunitinib est faisable chez des patients âgés de plus de 65 ans (71 patients) (Duffaud et al, abstract n°10546) : le taux d’albumine et d’hémoglobine initiale ainsi que le PS conditionnent la survie globale de ces patients. Le sunitinib a du être arrêté définitivement chez 24% des patients, le plus souvent dans les 3 mois qui suivent sa mise en route et chez des patients présentant des co-morbidités associées où une réduction de dose initiale semble s’imposer.
  • Le ponatinib (Ariad) est peut être l’un des traitements de demain dans les GISTs : puissant anti-KIT, PDGFR, VEGFR, les IC50 de ce dernier se comparent toutes favorablement à l’imatinib et au sunitinib et les travaux de M. Heinrich ne souffrent généralement d’aucunes lacunes (Heinrich et al, abstract 10509). Le ponatinib semble actif également sur la majorité des mutations acquises aux cours des traitements précédents, allant de l’exon 13 à l’exon 18. Enfin le ponatinib se fixe également sur la forme inactive de KIT. Une étude de phase II va débuter cet été outre-Atlantique.

6. Pour  être définitivement complet dans la thématique GIST cette année à l’ASCO, à noter : 

- une étude sud-coréenne revisitant l’intérêt de l’exérèse des lésions résiduelles en cas de contrôle tumoral satisfaisant sous imatinib (Ryoo et al, abstract n°10550) : après une durée médiane d’administration de l’imatinib de 19.1 mois, les 42 patients ayant été opérés de leur métastase ont une survie sans récidive et une survie globale significativement supérieures par rapport au 92 patients non opérés et ce, même après appariement statistique des patients entre eux pour limiter les biais de sélection évidents entre les 2 groupes de patients. Les patients de sexe féminin, ayant un GIST de faible volume tumoral, muté au niveau de l’exon 11 de KIT et opérés de leurs lésions résiduelles sont ceux qui obtiennent des survies prolongées

- une incidence accrue des cancers du rein dans les deux sexes (Risque relatif de 4.3) et du colon chez la femme (Risque relatif de 2.96) chez des patients ayant développé antérieurement un GIST. Ce risque de cancer secondaire est plus élevé dans les GIST à haut risque mitotique (Smith et al, abstract n°10537).