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Etude de la pharmacocinétique de l'imatinib dans les GIST à Bordeaux

Le Pr Mathieu Molimard est directeur adjoint du département de pharmacologie et responsable du pôle biologie du CHU de Bordeaux. Dans le cadre de ses travaux de recherche, le Pr Molimard s'intéresse particulièrement à l'étude des thérapies ciblées, à la mesure de leur efficacité et aux moyens de doper leur action dans les conditions réelles de leur utilisation. Après avoir étudié la pharmacocinétique de l'imatinib dans les leucémies myéloïdes chroniques pendant trois ans, son équipe oriente désormais ses recherches vers les GIST dans le cadre du projet "PK".

Cela fait plusieurs mois que la question de l’impact du taux de concentration plasmatique sur la réponse à l’imatinib est au cœur des préoccupations des associations de patients GIST du monde entier. La persistance de l’imatinib dans le sang favoriserait-elle un meilleur profil de réponse au traitement ? Si oui, quel est le seuil à atteindre pour garantir un profil favorable ? A quel dosage ce seuil peut-il être corrélé ? Les réponses à ces questions sont d’autant plus attendues qu’elles permettraient vraisemblablement d’évoluer, à terme, vers une réelle individualisation des traitements et donc, vers une optimisation de la prise en charge thérapeutique des GIST. Afin de nous éclairer sur ces points, le Pr Molimard a accepté de répondre à nos questions.

1. Professeur, pouvez-vous nous expliquer en quoi consiste l’étude « PK » ?

Pr Molimard : « PK » est l’abréviation de « Pharmaco-Kinetic » ou « Pharmaco-Cinétique » en Français. La pharmaco-cinétique s’attache à mesurer le devenir d’un médicament dans l’organisme. Elle repose sur la mesure des concentrations dans le sang au cours du temps.
Nous travaillons depuis plus de 3 ans sur la pharmacocinétique de l’imatinib (Glivec®) et les autres inhibiteurs des tyrosines kinases dans le laboratoire de pharmacologie du CHU de Bordeaux. Nous avons débuté en cherchant à corréler les concentrations d’imatinib avec la réponse dans la leucémie myéloïde chronique (LMC). Nous avons trouvé une relation entre la réponse au traitement et la concentration d’imatinib avant la prise suivante appelée concentration résiduelle. Nous avons pu démontrer qu’il existait un seuil de concentration minimal de 1000ng/ml d’imatinib qu’il fallait atteindre pour avoir une plus grande probabilité d’être répondeur. Cette définition est statistique ce qui signifie, qu’à l’échelon individuel, on peut très bien être répondeur avec des concentrations moindres, mais la réponse est plus probable au-delà de ce seuil. Il nous reste à démontrer que pour les patients non-répondeurs et ayant des concentrations inférieures à ce seuil, augmenter la dose d’imatinib pour franchir ce seuil améliore la réponse. Après 2 ans de centralisation des données au niveau français nous sommes près du but et pensons avoir une réponse définitive pour la LMC en fin d’année.
Pour le GIST, la démonstration est plus difficile car les marqueurs d’efficacité sont moins faciles à mesurer que dans la LMC où une simple prise de sang suffit. Nous avons un faisceau d’argument faisant penser qu’il existe également un seuil de concentration dans le GIST, mais ce seuil reste à définir. Afin d’atteindre cet objectif, nous centralisons les dosages d’imatinib dans le GIST au niveau français avec les données d’efficacité dans le GIST. Nous espérons avoir la réponse d’ici 1 à 2 ans, mais cela dépendra surtout du nombre de prélèvements qui nous seront envoyés avec des données d’efficacité.

Quelle est la procédure d’évaluation du taux de PK ?

Pr Molimard : La concentration résiduelle d’imatinib est déterminée par une simple prise de sang. La seule précaution à prendre est de bien respecter l’heure de prélèvement par rapport à la dernière prise du médicament pour que le dosage soit interprétable. Le prélèvement doit être fait 24 ±3 heures après la dernière prise en cas de prise unique par jour ou 12±2 heures après la dernière prise en cas de prise matin et soir. Autrement dit le prélèvement doit être fait avant la prise suivante. En dehors de ces fourchettes de temps, il est très difficile d’extrapoler avec certitude la concentration résiduelle. Le tube de plasma est acheminé jusqu’à notre laboratoire avec une feuille de demande sur laquelle est inscrite la raison de la demande, l’ancienneté du traitement sa dose l’heure du prélèvement par rapport à la dernière prise et l’efficacité clinique du traitement. L’accumulation de ces données de manière centralisée devrait nous permettre de déterminer qu’elles sont les concentrations les plus souvent associées à une efficacité du traitement.

En quoi cette évaluation se justifie-t-elle dans le traitement des GIST ?

Pr Molimard : L’imatinib comme tous les inhibiteurs de tyrosine kinases est très métabolisé par le foie et nous ne le métabolisons pas tous de la même manière. Ainsi pour une même dose, nous trouvons des concentrations très variables entre les patients ce qui peut expliquer des réponses différentes au traitement. Plusieurs raisons justifient le dosage plasmatique d’imatinib. La première est de vérifier l’observance correcte du traitement. Nous ne sommes pas des machines à avaler des comprimés et oublier de prendre son traitement est quelque chose de normal bien que non souhaitable. Nous savons que 20% des patients sont mauvais observants et le dosage peut aider les médecins à les identifier et voir avec eux comment les aider à prendre mieux leur traitement. La deuxième raison est de vérifier que l’imatinib n’est pas trop métabolisé et passe bien dans le sang notamment pour les patients qui ont eu une résection intestinale importante. La troisième raison est de vérifier devant des problèmes de tolérance que les concentrations ne sont pas trop élevées. La dernière raison est d’améliorer la connaissance sur les concentrations associées à l’efficacité mais aussi aux effets secondaires et aux échecs sous traitement

Pourquoi l’évaluation de la concentration plasmatique d’imatinib dans les GIST arrive-t-elle plus tardivement que dans les LMC déjà testés en routine depuis plusieurs années ? Depuis quand a-t-elle officiellement démarré dans les GIST ?

Pr Molimard : La raison principale est qu’il est moins facile de faire le lien entre la concentration et l‘efficacité dans le GIST que dans la LMC. Dès que nous avons montré ce lien dans le GIST dans la LMC nous avons commencé à travailler dans le GIST d’abord avec les médecins de Bordeaux puis depuis bientôt un an avec les médecins des autres centres Français. Un coup d’accélérateur a été fait avant l’été lors d’un congrès commun des spécialistes du GIST et de la LMC sous l’égide du laboratoire Novartis. Au terme de ce congrès a été établi un formulaire commun de demande et la mise à disposition du dosage a été rendue possible grâce à un soutien du laboratoire Novartis.

En s’appuyant sur les données actuellement obtenues pour les LMC, est-il possible que le taux de PK nécessaire pour garantir une efficacité de l’imatinib dans les GIST soit identique à celui déterminé dans le cas des LMC ?

Pr Molimard : Il est pour l’instant trop tôt pour répondre. Une chose est sûre, il faut de l’imatinib dans le sang et une concentration inférieure à 300-400 ng /ml doit faire se poser des questions sur l’observance, le métabolisme ou l’absorption. Nous avons des arguments indirects pour penser qu’il existe un seuil, il probablement proche de celui observé dans la LMC mais nous ne pouvons pas l’affirmer avec certitude.
 

Dans les GIST, les données actuellement recueillies permettent-elles d’établir l’existence d’une quelconque corrélation entre le taux de concentration plasmatique et le statut mutationnel des patients ? Certains profils de mutations sont-ils plus enclins à bénéficier d’une meilleure concentration plasmatique que d’autres ? D’autres facteurs biologiques sont-ils susceptibles d’influencer le taux de PK ?

Pr Molimard : Des éléments indirects laissent à penser qu’il pourrait exister un seuil. Les premiers éléments dont nous disposons semblent indiquer que les patients traités depuis 6-7 ans et donc que l’on peut considérer comme répondeur au traitement ont des concentrations supérieures à la moyenne des autres patients. Ceci s’explique en présence d’un seuil par le phénomène que nous appelons en pharmacoépidémiologie déplétion des susceptibles.
En effet si existe un seuil, les patients en deçà de ce seuil ont plus de chance d’être non-répondeurs et d’avoir changé d’option thérapeutique avant 6-7 ans ; cela entraîne mécaniquement une augmentation des concentrations moyennes de la population avec la durée du traitement, seuls les patients ayant atteint le seuil étant longs survivants sous traitement. Nous n’avons encore que trop peu de patients traités depuis longtemps pour pouvoir être formels mais cela se comprend, ils vont bien et donc il n’a pas de justification individuelle à leur faire un dosage.
Il est probable que le seuil peut varier en fonction de la présence de mutations certaines nécessitant de plus fortes concentrations. Connaître le seuil de base des patients non muté est une première étape, en parallèle nous cherchons les seuils des patients mutés en fonction de leur mutation, mais cela prendra plus de temps.

Lorsque vous découvrez qu’un patient présente un taux de PK estimé comme insuffisant, y a-t-il un impact direct de votre analyse sur sa prise en charge ? Globalement, aboutit-elle à une augmentation de son dosage ?

Pr Molimard : C’est du ressort du clinicien surtout en l’absence de seuil démontré. Il doit prendre en compte de nombreux facteurs tel quel la nature de la tumeur sa localisation, ses mutations, la qualité de l’exérèse, l’observance, la réponse et la tolérance au traitement. En cas de dosage insuffisant, la première question est de savoir la fréquence des oublis du traitement et de s’efforcer d’améliorer l’observance si elle est mauvaise.
Ensuite si la réponse thérapeutique n’est pas suffisante, une concentration basse est un élément supplémentaire qui peut aider le clinicien à proposer une augmentation de dose . En l’état actuel, cela ne doit pas être systématique car cela expose au risque de surdosage sans que le bénéfice ne soit démontré.

A l’heure actuelle, existe-t-il des moyens concrets d’optimiser une concentration plasmatique insuffisante ? Si oui, quels sont-ils ? Si non, pourquoi ?

Pr Molimard : La première est de prendre correctement son traitement même si c’est plus facile à dire qu’à faire, la deuxième est de vérifier l’ensemble des traitements du patient certains médicaments pouvant accélérer le métabolisme de l’imatinib et diminuer ces concentrations. Si cela ne suffit pas on peut augmenter la dose mais je le répète pas seulement à la vue d’un dosage mais d’une conjonction d’éléments dont la réponse et la tolérance au traitement.

Il arrive que des patients tentent d’optimiser par eux-mêmes leur taux de concentration plasmatique par des méthodes diverses, quel(s) conseil(s) auriez-vous à leur donner ?

Pr Molimard : Cela ne doit se faire qu’en concertation avec leur médecin spécialiste du GIST. Si la réponse est peut être liée à la concentration, les effets secondaires aussi et ils s’exposent ainsi aux risques d’effets indésirables graves. Seul un médecin spécialisé dans ces traitements peut mesurer au mieux la balance entre le bénéfice et le risque lié a cette augmentation et les moyens pour y parvenir.
 

Actuellement, comment sont recrutés les patients GIST participant à votre étude ?

Pr Molimard : Les prélèvements sont envoyés par les médecins des principaux centres prenant en charge le GIST. Il n’y a pas de prélèvement systématique mais seulement selon l’avis du médecin et/ou à la demande du patient.
Le transport et la gratuité de l’analyse a été possible grâce a un soutien de Novartis à cette étude.

Combien de patients estimez-vous devoir recruter pour obtenir des données qui soient exploitables ? Ces patients répondent-ils à des critères d’éligibilité particuliers ? Si oui, lesquels ?

Pr Molimard : Dans la LMC où le critère d’évaluation est simple, il nous a fallu une centaine de patients avec des dosages réalisés correctement (résiduels) pour définir le seuil. Dans le GIST, du fait de la variabilité des situations cliniques et des critères de réponse, il faudra a priori 2 a 3 fois plus de patients. Une estimation grossière du seuil pourra peut-être être obtenue avant si nous avons suffisamment de dosages de patients sous imatinib depuis plus de 5 ans et de patients arrêtant leur imatinib pour manque d’efficacité (en dehors d’une mutation).

Comment les patients souhaitant connaître leur taux de PK peuvent-ils participer à votre étude ?

Pr Molimard : Ils peuvent demander à leur médecin spécialiste du GIST de leur faire un prélèvement pour voir leur concentration. Attention cela n’a d’intérêt que si la feuille de demande est bien remplie, que les patients prennent régulièrement leur traitement et que le prélèvement est fait juste avant l’heure de la prise du traitement.

Les feuilles de demande et conditions d’acheminement peuvent être retirées sur le site Internet de notre laboratoire www.pharmacoepi.eu