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Double lecture systématique dans les cancers rares : mobilisons-nous contre l'action du SMPF !

C’est par le biais d’une dépêche de l’Agence de Presse Médicale (APM) parue le 28 février dernier que nous avons été alertés de la démarche du Syndicat des Médecins Pathologistes Français (SMPF) qui, dans un courrier adressé à la Présidente de l’Institut National du Cancer (INCa) : Agnès Buzyn, et mis en copie aux différentes autorités de santé, réclame officiellement la suppression de la double lecture systématique pour les cancers rares ; considérant que ce dispositif porte une atteinte grave à la profession.
Cette requête surprenante aux allures de sommations, déposée sans aucune consultation préalable des premiers concernés : à savoir les patients que nous sommes, n’est pas sans nous inquiéter et nécessite que nous nous intéressions de plus près à la démarche du SMPF de sorte que les associations de patients concernées ne soient pas délibérément écartées du débat et/ou de toute décision à venir.

 

 

 

 

LES RESEAUX D’EXPERTS NATIONAUX ANATOMOPATHOLOGIQUES : RAPPEL  

Structurés et financés par l’INCa depuis 2009 pour répondre à une demande historique des patients et des cliniciens, la mise en place des réseaux experts anatomopathologiques a pour vocation de fournir une seconde lecture systématique et gratuite dans quatre groupes de cancers rares de l’adulte dont les diagnostics sont réputés particulièrement difficiles à poser :
  1. Les sarcomes des tissus mous et des viscères (RReps)
  2. Les tumeurs neuroendocrines malignes sporadiques et héréditaires (TENpath)
  3. Les mésothéliomes pleuraux malins et les tumeurs rares rétropéritonéales de l’adulte (MESOpath)
  4. Les lymphomes (LYMPHOpath)
Selon les recommandations de l’INCa, depuis le 1er janvier 2010, tout pathologiste suspectant ou identifiant une tumeur appartenant à l’un des quatre groupes pré-cités doit soumettre les prélèvements tumoraux au réseau d’experts dédié afin que celui-ci procède à une seconde analyse.
 
Le recours systématique à cette expertise a pour objectif de :
  • Confirmer/affiner le diagnostic posé par le premier médecin pathologiste (en recourant si nécessaire à l’immunohistochimie et/ou à des actes de biologie moléculaire spécialisés) ;
ce, dans un souci de limiter les risques d’errances et/ou d’erreurs diagnostiques courantes dans ces familles de cancers peu connus.
 
LA DOUBLE LECTURE DANS LES CANCERS RARES : DES ENJEUX MAJEURS

Par le passé, le manque de connaissance naturellement induit par l’extrême rareté de ces tumeurs et/ou leur grande diversité histologique donnait à la démarche diagnostique des allures de casse-tête chinois pour nombre de pathologistes généralistes, exposant ainsi les malades à des risques élevés de diagnostics erronés ou incertains et donc, à des prises en charge thérapeutiques inadaptées souvent lourdes de conséquences, sinon sans appel.
 
En ce sens, les attentes des malades étaient fortes et les enjeux de ce dispositif majeurs…
 
Du point de vue des malades, la structuration de ces réseaux d’experts et l’organisation de la double lecture constituent sans conteste une avancée notable dans la prise en charge des cancers rares pour laquelle les associations de patients concernées, dont la nôtre, ont longtemps milité aux côtés des professionnels de santé.
 
Par l’instauration de cette relecture systématique,  les malades bénéficient désormais d’une véritable « ceinture de sécurité » qui leur garantit l’accès à un diagnostic validé de manière incontournable par une expertise plus que nécessaire dans des tumeurs souvent méconnues et donc pas toujours bien appréhendées en dehors des centres experts.
 
Au cours des trois dernières années, ce dispositif a conduit à une nette amélioration de l’accès au diagnostic pour cette population de malades, avec un impact direct sur la prise en charge thérapeutique évitant :
  • à certains d’être traités pour des cancers qu’ils n’avaient pas,
  • à d’autres de passer à côté d’une prise en charge optimale et adéquate.
Au-delà de cet aspect, la centralisation des données biologiques de ces tumeurs vers des plateformes spécialisées revêt aussi un intérêt scientifique majeur pour ces pathologies car elle devrait permettre d’acquérir une meilleure compréhension des mécanismes biologiques de ces cancers dans le futur et faciliter ainsi la définition de stratégies thérapeutiques adaptées.
 
LA GROGNE DU SYNDICAT DES MEDECINS PATHOLOGISTES FRANÇAIS (SMPF)
Dans une lettre datée du 17 février 2014, adressée à Agnès Buzyn, Présidente de l’Institut National du Cancer, et mise en copie à
  • Mme Marisol Touraine, Ministre de la Santé
  • M. Jean Debeaupuis, Directeur Général de la DGOS,
  • M. le Pr. Benoit Vallet, Directeur Général de la DGS,
  • M. le Dr. Président du Conseil de l’Ordre des Médecins,
  • M. Raymond Le Moign, Directeur Adjoint du Cabinet de Mme la Ministre de la Santé,  
le Syndicat des Médecins Pathologistes Français réclame officiellement la suppression du dispositif de « double lecture systématique » qu’il estime avoir été imposée « sans la moindre concertation avec la profession » et responsable de ternir l’image de celle-ci.
 
Le syndicat considère en effet que les bilans chiffrés publiés chaque année par l’INCa font état de statistiques biaisées qui portent un lourd discrédit à la profession.

Le SMPF reproche notamment à  l’INCa :
  • D’entretenir une confusion entre les cas transmis « pour avis » et les cas transmis « pour validation », comptabilisant ainsi dans les « erreurs »  de simples demandes d’avis qui ne préjugent pas du diagnostic et n’entrainent aucune décision thérapeutique.
     
  • D’augmenter artificiellement, sur la base de cette confusion, l’impact de la double lecture sur le taux de modification de la prise en charge.
Le syndicat dénonce par ailleurs la comparaison des performances entre les pathologistes « qui ne bénéficient pas tous des mêmes moyens techniques et financiers d’investigation pour faire un même diagnostic », l’accès à la biologie moléculaire étant à ce jour réservée aux seuls réseaux publics.
 
Il estime également que ce dispositif comporte des effets pervers non seulement délétères pour la prise en charge mais pouvant aussi et surtout aboutir à une déresponsabilisation des pathologistes, voire à une perte de compétences professionnelles dans les cancers concernés…
 
Fort de ces différents constats, le SMPF réclame donc une réorganisation du recours diagnostic en demandant à ce que seuls les cas posant un réel problème au pathologiste soient adressés au réseau expert pour second avis…
 
Fin de la double lecture systématique !
 
Puisque la majeure partie des pathologistes est d’accord et que cela mettra fin à une longue discorde, alors faisons ainsi !
 
ET LES PATIENTS DANS TOUT CA ???
Quand le Président du SMPF, le Dr Michel Guiu, se défend d’une démarche exclusivement corporatiste et écrit dans son courrier que les différents rapports et publications de l’INCa « véhiculent un message qui discrédite la profession et met inutilement un malaise entre les patients et le système de Santé », on ne peut que s’étonner qu’une telle action syndicale mobilisant l’ensemble des autorités de santé et visant à supprimer un dispositif impactant directement les malades ait été entamée sans la moindre consultation préalable des associations concernées par cette problématique.
 
A la découverte de la dépêche APM la semaine dernière, nous avons contacté les autres associations concernées par la double lecture systématique, à savoir : France Lymphome Espoir, AMARAPE,  l’APTED et SOS Desmoïde. Aucune d’entre elles n’avait a priori été informée et/ou sollicitée pour émettre un avis sur la question. C’est précisément là que le SMPF créé le malaise qui nous pousse aujourd’hui à rédiger ce communiqué.
 
Sans doute certains pathologistes qui, pour la plupart, ne côtoient que des fragments de patients par le biais du microscope en ont-ils oublié qu’au-delà des lames, se trouvent des individus capables de raisonner, de communiquer et d’échanger en bonne intelligence et que, pour reprendre la devise d’une association de patients européenne bien connue, la moindre des choses est « de ne rien faire pour les patients, sans les patients » !
 
Que les pathologistes ne se méprennent pas sur la tonalité de cette communication :
  • Nous reconnaissons pleinement l’importance de la profession ;
  • Nous ne remettons pas en cause ni le professionnalisme, ni l’expertise des généralistes ;
  • Nous ne contestons pas le fait que la distinction entre les cas « transmis pour avis » et les cas « transmis pour validation » nécessite peut-être d’être clarifiée avec l’INCa et les réseaux ;
  • Nous ne nous opposons pas forcément à ce que les modalités du dispositif de double lecture systématique soient rediscutées pour d’un côté préserver la sécurité diagnostique du patient et, de l’autre, valoriser le savoir-faire et l’expertise de la profession.
Cependant, si le Dr Guiu tente de relativiser en écrivant que « la rareté d’une tumeur n’est pas toujours synonyme de difficulté diagnostique », nous ne pouvons que réagir en rappelant malgré tout qu’il arrive encore très souvent qu’elle le soit et génère parfois des situations dramatiques tant pour le malade concerné que pour son entourage. Ceci est une réalité, celle de nombreux patients atteints de cancers rares, dont il serait  déplacé et inconvenant de faire fi. 

A ce titre :
  • Nous maintenons qu’un dispositif de double lecture systématique est une sécurité indispensable en pathologie tumorale même si sa forme actuelle doit éventuellement faire l’objet de nouvelles discussions.
     
  • Nous restons convaincus, sans remettre en cause les compétences des pathologistes généralistes, que la rareté, la diversité de ces tumeurs et l’évolution galopante des connaissances, rend impossible la gestion de ce type de diagnostic sans avoir recours à une expertise. En effet, pour poser un diagnostic précis, encore faut-il avoir la connaissance/l’expérience de ce que l’on doit/peut  rechercher. Pas forcément évident lorsque ces tumeurs concernent moins de 1% de la population.
Pour reprendre l’exemple des sarcomes : ces tumeurs représentent 4000 nouveaux cas par an en France et se déclinent en plus de 140 types et sous-types histologiques de tumeurs conjonctives, auxquels s’ajoutent de nombreux types moléculaires. Sachant qu’il y a environ 1600 à 1800 pathologistes sur le territoire, on estime alors que chaque pathologiste n’analyserait que 2 à 3 cas de sarcomes par an en France. Dès lors, comment se repérer dans un tel éventail de diagnostics quand on ne voit qu’aussi peu de cas ?
  • Nous défendons l’utilité des réseaux, notamment dans la validation des diagnostics. En 2012, sur les 1313 cas adressés au réseau RREPS pour validation (relecture systématique), 139 cas de discordances rapportant des changements de grandes catégories : malin versus bénin, GIST versus non GIST, desmoïde versus non desmoïde ; ont été enregistrées et ont permis un ajustement de la stratégie thérapeutique pour ces patients. Parmi les exemples les plus classiques de confusions diagnostiques fréquemment « rattrapés » par la relecture : des lipomes remaniés (bénins) pris pour des liposarcomes bien différenciés (malins), des fasciites nodulaires ou des histiocytofibromes cutanés (bénins) pris pour des léiomyosarcomes (malins), ou encore des tumeurs desmoïdes intra-abdominales (bénignes) régulièrement confondues avec les GIST (malins). Soit autant de « dégâts thérapeutiques » mais aussi psychologiques évités de justesse pour les patients…
     
  • Nous ne pouvons que réprouver avec fermeté qu’une telle revendication affectant un dispositif dont les patients sont pourtant au cœur du sujet ait été déposée sans que nous ayons été  préalablement informés et/ou consultés.
     
  • Nous pensons bien évidemment qu’il serait maladroit et mal venu, de la part des autorités de santé de prendre en compte une telle demande syndicale et d’entamer la moindre démarche sans que nous y soyons associés, la modification/suppression d’un dispositif affectant directement les patients ne pouvant se faire sur les simples exigences d’une corporation qui exclut de fait les principaux intéressés du débat pour défendre les seuls intérêts de sa profession.

 
Dans les jours à venir, Info Sarcomes, Ensemble contre le GIST, France Lymphome Espoir et, nous l’espérons, les autres associations que nous invitons à se joindre à nous, adresseront un courrier commun et solidaire à la Présidente de l’Institut National du Cancer, ainsi qu’aux différentes autorités de santé concernées, afin de faire connaître notre position sur ce sujet et de faire valoir notre droit le plus strict à être représentés et entendus lors des éventuelles discussions futures.